Mosquée Osmanli :
20 ans déjà !

Publié en juin 2023

7 ans d’aventure, 8000 km parcourus entre France Allemagne et Turquie, des heures et des heures de débats (très) animés … Façonner la Mosquée Osmanli et le Centre Culturel Turc de Nantes a été une formidable odyssée pour notre agence. Un projet pépite made In Situ qui a déjà 20 ans. Une odyssée que nous avons choisi de vous raconter en 5 actes.

Acte 1 – Une commande d’exception

2003, l’agence In Situ AC&V reçoit une demande de la Ville de Nantes à la fois singulière et extraordinaire : construire une mosquée et un centre culturel en plein cœur de Nantes !

La maîtrise d’ouvrage

L’Association Culturelle Turque de Nantes (ACTN).

La commande

La réalisation d’un centre à la fois cultuel et culturel composé d’une mosquée et d’espaces destinés d’une part à la promotion de la culture turque (lieu d’exposition, bibliothèque / librairie, cafétéria), d’autre part à la vie propre de l’association (bureaux, salles de cours, logements du gardien et des intervenants extérieurs).

Le site de construction

Une parcelle, située dans la ZAC Montplaisir à vocation essentiellement industrielle. Mais aussi d’un lycée et de logements sur la frange sud de Bellevue : territoire hybride.
Le site a fait l’objet d’une discussion assez longue entre bail emphytéotique voulu par la Ville et acquisition finalement obtenue par l’Association Culturelle Turque de Nantes.

Le financement

La Ville de Nantes subventionne la partie culturelle du projet tandis que la communauté turque prend en charge la mosquée. Ce projet est exceptionnel ! D’abord parce qu’il doit allier, sans les confondre, deux univers distincts : le profane et le sacré.

Ensuite parce qu’il cristallise des enjeux politiques forts : place du culte musulman et modalités d’intégration d’une communauté dont le pays d’origine regarde à la fois vers le monde musulman et vers l’Europe ; ce qui amène une attention particulière de la part de la Ville.

Enfin parce que la réalisation des bâtiments n’est financièrement possible que par des dons de la communauté et l’implication bénévole d’ouvriers turcs, de sorte que – situation peu courante pour un architecte en charge d’un ERP (établissement recevant du public) – l’association commanditaire est à la fois maître d’ouvrage et entreprise.
Alors… effrayant ou passionnant ? Pour notre agence, cette opération est à la fois pépite et ovni. Elle illustre, de manière quasi-expérimentale, ce que l’architecture implique de dialogue sur les usages, fonctionnels et symboliques. Elle représente le tissage des cultures, le collectif, la solidarité, l’intime, l’ouverture et l’audace d’exister dans un espace public non acquis. Autant de valeurs qui font partie de l’ADN de notre Agence d’architecture et d’urbanisme.

La réponse est donc : passionnante !

Acte 2 – 7 ans !

Etudes, voyages, chantier… Ce projet décline plusieurs temporalités. Toutes mises bout à bout, elles s’étalent sur sept ans.

Le temps des études

Les premières années, plusieurs esquisses ont été présentées s’adaptant à différentes évolutions, allant même jusqu’à compléter la surface du terrain pour tirer parti de règles constructives permettant l’édification de volumes de plus hauts ports (le minaret). Le programme s’est de fait peu à peu affiné, il a acquis une teneur qui puisse faire sens à l’ensemble de la communauté turque. L’élaboration du plan a nécessité de croiser nos recherches historiques et symboliques avec les pratiques et les ellipses du programme : usages tellement intégrés qu’ils sont difficiles à retranscrire. Lors de dépôt du premier permis de construire, la trame du projet était validée et fixée, mais nous nous sommes laissés une marge « d’incomplétude » comme une possibilité de faire évoluer le projet tant dans ses usages que dans son façonnage et ses aspects.

Le temps des voyages

Chaque grande étape du projet a été marquée par un voyage. Ils ont chacun à leur manière enrichi le projet. Le premier voyage, en Allemagne en octobre 2003, avait pour but de visiter des programmes similaires, insérés dans des tissus urbains. Il a fait émerger les attendus des uns et des autres mais aussi un regard critique sur l’abandon des savoir-faire traditionnels, artisanaux turques, qui deviendront une ressource pour le façonnage du projet. Deux voyages successifs en Turquie nous ont immergé dans ces savoir-faire spécifiques qui trouveront un écho immédiat et ressourçant du projet.

Le temps du chantier

Cette approche nécessite une grande ténacité de la part des protagonistes pour « relancer » le projet à chaque étape : le temps du chantier est devenu un vrai temps d’échange et de mise au point – impliquant l’ensemble des 400 adhérents de l’association – allant jusqu’à démolir un bâtiment dont le gros œuvre était fini. Ce mode de fonctionnement a laissé la porte ouverte à des recherches permanentes pour trouver des manières inédites constructives ou esthétiques. De ce fait, l’appropriation de ce bâtiment s’est consolidé pas à pas sans attendre l’ouverture officielle.

Acte 3 – Concilier et conjuguer

La mise en place de ce projet est évocatrice et révélatrice d’une multitude d’ailleurs chargés de promesses et de nouvelles découvertes, la réalité de terrain nous a amené à résoudre des enjeux insoupçonnables :

  • Réussir l’adéquation entre un secteur d’activité -la ZAC Montplaisir- et un centre culturel et cultuel
  • Respecter les principes universels d’une mosquée en les réinterprétant pour insérer cet édifice dans l’histoire et la culture nantaise. L’histoire de ce projet s’augurait bien, la formule permettant de trouver la direction de la Mecque nous donnait la direction du boulevard Bâtonnier Cholet à un degré prêt dans la bonne direction (!).
  • Trouver l’équilibre dans la mise en relation entre les parties culturelles et cultuelle de l’ensemble. Dès la conception du projet, In Situ AC&V a pris le parti du dialogue. C’est le centre culturel – le lieu d’ouverture de la communauté – qui donne sur le boulevard. Le lieu de culte, dont la fonction est plus intime, est en retrait. Les deux corps de bâtiments s’articulent autour de deux espaces communs. D’une part, une large rampe d’accès ouvert sur la voie publique, d’autre part un patio qui relie la cafétéria, à l’arrière du bâtiment culturel et la salle de prière. Celle-ci porte les symboles du culte ottoman : une coupole et un minaret. De la sorte, chacun des bâtiments se respecte dans leurs distances et leurs perspectives. Depuis la rue, aucun des deux ne prend le pas sur l’autre. Le traitement paysager contribue à une transition douce et ouverte avec l’espace public.

Formellement les bâtiments sont résolument contemporains, ni reprise littérale d’éléments traditionnels turcs, ni tentative de masquer la vocation du lieu.

Acte 4 – Construire, démolir puis… reconstruire

Ce projet s’est élaboré tout au long de sa construction !

L’arrière-plan politique, le fait que la structure commanditaire ait des comptes à rendre à une communauté importante et donc forcément diverse, ainsi que l’économie particulière du projet, font de l’élaboration de cette opération et de la construction des bâtiments un exercice de réinvention perpétuelle.

Chaque réunion de chantier est ainsi devenue une étape de remise en cause et d’adaptation du projet, au point que certaines parties ont été détruites, puis reconstruites différemment. La négociation qui s’est engagée met en présence plusieurs interlocuteurs : la Ville, soucieuse de l’impact final du projet, l’association comme lieu de synthèse des aspirations de la communauté turque nantaise et les entreprises membres de l’association, susceptibles de peser sur les positions de l’association. Notre agence se trouve ainsi en position de médiation volontaire : entre la volonté publique et celle de l’association, entre le projet initial et sa forme finale, entre le plan et les compétences techniques mobilisables bénévolement, voire entre les membres de l’association eux-mêmes :

C’est de dialogue dont il est question.

Acte 5 – Des artisans au cœur du chantier

Des savoir-faire spécifiques se retrouvent dans toutes les strates du projet, la construction de la coupole ainsi que le travail de taille de pierre illustre bien l’apport des artisans sur le chantier.

La Coupole

Elle porte une histoire à elle seule ; alors que toutes les solutions étudiées sortaient largement des coûts – structure acier, lamellé collé, fond de coffrage post formé- la maîtrise technique des maçons a permis de constituer un fond de coffrage à partir de rayon de courbures formées par de simples fers à béton, réutilisé par la suite pour les fondations du centre culturel.

Les tailleurs de pierre

Cette partie du chantier est proche de l’épopée, avec ses rencontres dans les carrières montagneuses à l’extrême ouest de la Turquie près de la Géorgie, ses négociations marathons dans les arrière-salles de café, ses divers mode de transports pour acheminer les pierres taillées jusqu’au port du Havre, ses péripéties administratives pour obtenir toutes les autorisations adéquates (notamment la venue des tailleurs de pierre de Bayburt), et enfin la mise en place de tous les éléments scrupuleusement numérotés (les bas-reliefs de la façade en reprise des damassés de velours de la route de la soie).

Les calligraphes

D’Angers à Dubaï, en passant par la Malaisie, la famille des calligraphes se déplace au grès des chantiers. Ils arrivent avec leur petite caisse, leurs pinceaux, un ordinateur, et tout leur savoir-faire. Tous les pochoirs ont été travaillés spécifiquement pour cette mosquée, sur la base des équilibres graphiques proposés par l’agence… Le plus grand débat ayant porté sur l’ajustement des couleurs !

Conclusion

Rare est l’occasion pour un architecte de mettre à l’épreuve son appétit pour les vertus collaboratives de la création.

Ici et pas ailleurs, la relation fut étroite avec la Ville de Nantes et la communauté turque d’ici et de là-bas. A l’issue de ce projet, l’association turque de Nantes pose, à l’agence, une demande singulière : « peut-on faire retour au pays de toutes nos inventions communes ? »

Cette demande est un cadeau !

Alors se pose aujourd’hui la question : et si nous voulions le refaire, le pourrait-on encore ?

In situ - Architecture, Culture(s) & Ville
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